Parthenay, Cité des jeux : Bonjour Guillaume ! Pour commencer dis-nous : qui es-tu, comment as-tu atterri à Parthenay, et qu’est-ce qui te lie à cette ville ?
Guillaume Clavières : Salut ! Parthenay, c’est ma ville natale même si je vis actuellement en région parisienne. Je suis professeur de français dans ma vie « normale » et auteur scénariste mais aussi chroniqueur journaliste sur un site internet de BD à mes heures perdues. A l’instar de Batman (mon super-héros préféré), j’aime bien l’idée d’avoir une double vie (voire une triple en réalité) et j’en suis plutôt fier même si parfois, ce n’est pas facile à assumer avec tout le travail que cela demande.
Parthenay, donc, m’a permis de développer mon amour pour le jeu en général. Quand on est originaire de la ville du FLIP, c’est quasi une obligation ! Mon appartement est à la fois une ludothèque et une médiathèque. J’ai été aussi animateur jeux sur Passion Jeux pendant le FLIP et d’autres animations jeux sur le continent.
Si tu devais décrire « En quête de jeux » en quelques mots, ce serait quoi ? Et surtout, quel est ton rôle dans l’organisation ?
En quelques mots, ce serait : « évènement, ludique, familial, original ». L’idée (qui ne vient pas de moi) est de proposer des évènements pour la ville autour du jeu sous différentes formes mais toujours de façon novatrice et originale. Gaël FRERET (le coordinateur de la Cité des Jeux) insiste également, à juste titre, sur le fait que le public visé doit être le plus large possible afin que des familles puissent découvrir le monde du jeu sous une autre forme. Mon rôle, c’est d’essayer d’inventer un scenario jouable dans la ville puis de construire, en coopération avec l’équipe de la Cité des Jeux puis de Kiinoa, un système ludique en lien avec ce scénario.
Comment as-tu démarré « En quête de jeux » ?
J’ai déjà écrit plusieurs murders : c’est une enquête « réelle » façon Cluedo où des acteurs incarnent des personnages. Le public doit enquêter car il y a eu un meurtre et interroger les acteurs pour trouver qui est le coupable en évitant les fausses pistes et en récoltant des preuves sur ce qu’il s’est passé. Deux de mes murders (sur le thème de Cléopâtre et de la Résistance) ont été jouées sur Parthenay grâce à la Cité des Jeux et l’association Qui Que le Veuille. A partir de là, Vincent Michaud (ex Evacom Passion Jeux) m’a demandé si j’étais partant pour écrire une enquête policière dans la ville mais qui ne serait pas une murder. J’étais emballé bien sûr (chaque nouveau projet me transporte) et en même temps assez inquiet.
Faire une enquête dans plusieurs endroits de la ville avec un nombre de participants libres, cela me paraissait compliqué à organiser. Pourtant, les idées sont venues assez facilement et j’ai adoré la gymnastique d’esprit que cela demandait : écrire une affaire policière tout en concevant des mécaniques d’enquêtes sur plusieurs points de la ville qui se répondent et interagissent entre eux, c’était vraiment une belle expérience pour moi. Je ne vais pas vous cacher que cette première n’était pas sans défaut : le public l’a trouvée un peu trop compliquée et tordue dans la résolution de l’affaire.
C’était aussi loin d’être familial car je voulais une enquête qui vire au fantastique et au surnaturel inquiétant, façon H. P. Lovecraft. Mais les bases d’En quête de jeux étaient là et, à l’époque, je n’imaginais pas que cela prendrait et qu’il y aurait des suites à cette première session…
Cette troisième édition vient de se terminer. Qu’est-ce qui a marqué cette année ? Qu’est-ce qui la rendait vraiment différente des précédentes ?
C’est une bonne question. Chaque enquête se suit mais peut aussi se jouer indépendamment. De sorte que le public qui est présent dès la première heure ou à une session précédente soit content de revoir des personnages et allusions aux enquêtes d’avant mais il faut tout de même que chaque épisode soit un minimum indépendant pour intégrer aussi ceux qui essaient pour la première fois. J’essaie donc de mettre un fil rouge entre chaque session.
Le fil rouge, c’est un personnage que j’avais fait apparaître un peu gratuitement lors de la 1ère session, le célèbre cambrioleur Marius Jacob (qui a existé et dont la vie est plus rocambolesque encore que ce que l’on décrit dans d’En quête de Jeux). Depuis, il apparaît à chaque fois et devient même le deuxième personnage central avec le commissaire Nelzir Allard. Pour la deuxième session, j’étais vraiment fier de ce que l’on avait fait.
Avec certaines idées de Gaël, on avait imaginé un jeu de piste pendant les Jeux Olympiques en France en 1924 où Marius Jacob mettait au défi les enquêteurs de retrouver des bombes de couleur qu’il avait posées un peu partout dans la ville et de les empêcher d’exploser. Pendant l’enquête, le public découvrait d’autres rebondissements et surprise. Je trouvais que l’équilibre entre scénario et énigmes façon escape pour désamorcer les bombes était réussi. Les mécanismes des bombes et leur énigme ont été réalisées par François Ducaroy (Créalchimie). Cependant, j’ai la prétention de croire qu’on s’améliore à chaque épisode et j’ai une affection particulière pour la troisième session.
En effet, je voulais quelque chose de spectaculaire, sous fond de chasse à l’homme. Je voulais également de l’action pure avec la présence de gangs façon Al Capone. Du coup, j’ai imaginé une double chasse à l’homme : en plein Krach boursier en 1929, les gangs présents à Parthenay traquaient Marius Jacob pour lui prendre sa fortune. Dans le même temps, les enquêteurs devaient pister les gangs et les arrêter pour ensuite remonter sur la piste de Jacob.
Je suis vraiment content du résultat avec notamment un endroit où les joueurs ont pu avoir des « pistolets » à billes et tirer sur des cibles en forme de gangsters. Les différents lieux sont plein de tensions et d’aventures différentes car on voulait que l’expérience de jeu soit la plus originale et la plus variée possible et je pense qu’on a atteint notre objectif…
Tu dirais que l’événement s’adresse plutôt aux familles, aux joueurs passionnés ou aux pros du jeu ?
D’habitude, j’ai une exigence assez élevée en terme de stratégie et de niveau de difficulté. J’ai beau travailler pour des enfants, je reste ambitieux sur mes attentes car moi-même, j’adore quand un jeu de société a une difficulté élevée : cela donne une intensité et une émotion forte quand on y joue.
Cependant, grâce à Gaël, j’ai appris à rendre mes scénarios plus accessibles et plus grand public. Lors de la dernière session, quand j’ai vu que des personnes âgées faisaient l’enquête pour la première fois et étaient très surpris d’y arriver et d’aimer ou quand j’ai vu le sourire des enfants qui participaient avec leurs parents, j’ai compris qu’il avait raison.
Offrir du bonheur aux gens et particulièrement à ceux qui ne sont pas attirés de prime abord par les jeux, c’est magique !
Quand tu conçois un scénario, tu commences par quoi ? Tu t’inspires de quoi, de qui ?
Pour avoir de l’inspiration, je puise dans un nombre incalculable de livres et de films que j’ai lus ou vus et qui font partie de moi sans que je m’en rende compte. Je ne pense pas qu’il y ait de règles ou de recettes. Je pense juste qu’il faut ressentir l’inspiration sans forcément la forcer. Il faut également connaître ses goûts et ses univers et sa façon idéale de créer (j’adore écouter de la musique pour mieux m’évader).
Pour moi, il faut d’abord démarrer par quelque chose que l’on a envie de raconter. Par exemple, pour la session trois, j’ai toujours été fasciné par les récits de chasse à l’homme. J’ai donc commencé par ce point de départ pour dérouler ensuite la pelote de laine. J’ai besoin de plusieurs jours de réflexion : quand j’ai le temps lorsque je conduis ou lorsque je cours, j’arrive à plonger dans un embryon d’histoire puis je tire les fils un à un en essayant toujours de voir si cela fonctionne et si cela est possible.
J’attache beaucoup d’importance à la vraisemblance des personnages, leur lien entre eux et leurs émotions. Ce sont des éléments importants qui me guident ou qui me font abandonner certaines idées en cours de route. Vous savez, la création, c’est quelque chose d’assez fou. Parfois, j’ai l’impression que les idées viennent sans que je les contrôle et que je ne suis que le passeur d’idées et d’éléments qui me dépassent. Seuls ceux qui inventent peuvent comprendre ce sentiment si spécial et cette adrénaline quand vous êtes transcendé par ce que vous faites, une adrénaline qui dépasse toutes les drogues du monde.
Évidemment, je n’utilise même pas 1% d’une IA quelconque pour écrire et concevoir les scénarios. Je ne critique pas cet outil car cette technologie est tout de même fascinante mais j’aurais bien trop peur de me rendre compte que l’IA peut faire bien mieux et bien plus rapidement que ce que je peux produire… Et puis, justement, cela m’enlèverait une immense partie du plaisir de la création si je ne le faisais pas moi-même.
Quelles sont les "galères" typiques pendant la création ? Il y a eu des moments de doute cette année ?
Ce qui est d’abord difficile c’est d’avoir du temps. Entre mon travail, ma vie personnelle, mes critiques BD et les scénarios murder et enquête que j’écris, je suis parfois totalement noyé. Le plaisir de création se transforme alors en corvée ou en souffrance et c’est dommage. D’autant que je suis exigeant et quand je fais quelque chose, je veux que ce soit bien fait donc il faut du temps. L’autre énorme difficulté, c’est de travailler en coopération sur ce projet. Nous sommes plusieurs à intervenir et participer à En quête de Jeux et c’est parfois un vrai défi d’arriver à se coordonner.
Bâtir le game play peut aussi changer mon histoire donc c’est laborieux de toujours revenir sur les idées et vérifier chaque élément. Là encore, ça prend du temps. J’ai parfois du mal à laisser le contrôler sur ce que je fais à d’autres. En même temps, c’est un échange hyper intéressant et cela nous permet à tous de nous dépasser. Je pense que, ce qui fait le succès de nos enquêtes, c’est justement qu’elles sont issues de ce travail collectif et de cette entente pas toujours simple à maîtriser.
Au final, le résultat en vaut la chandelle. J’ai eu en effet un moment où j’étais vraiment à bout et sur le point de décrocher : le manque de temps, la fatigue et le fait que le scénario s’était énormément changé d’un coup m’a vraiment mis un coup. Mais avec les échanges et la coopération, j’ai vite repris la marche en avant.
Combien de temps cela prend-il pour mettre en place un scénario complet ? Pourrais-tu nous décrire les grandes étapes du processus ?
Pour moi, le plus important est l’aspect général de l’histoire, les idées principales du début et de la fin. Si j’ai ce squelette et s’il me plait, je ne le lâche plus et j’y reviens toujours. Le reste, c‘est donner une peau et habiller ce squelette de départ. Le plus dur pour moi est de trouver justement l’aspect général et global de l’intrigue. Une fois que c’est fait, c’est pas mal d’écriture et de développement.
C’est aussi de l’organisation car il faut que chaque élément soit bien rangé et clarifié pour que l’équipe s’en serve ensuite. Après tout cela, on essaie à plusieurs de trouver un style de jeu qui colle le mieux à mes idées : j’aime beaucoup cette partie mais ce n’est pas totalement mon point fort.
Avec l’équipe de Kiinoa, je pense qu’on a trouvé de quoi se compléter les uns les autres. Le regard de Gaël est aussi très important pour moi car il est l’initiateur de ces évènements. J’aurais donc beaucoup de mal à quantifier le nombre d’heures qu’il faut : entre la réflexion pour trouver le synopsis, l’écriture détaillée des idées, jeux et personnages et la concertation avec l’équipe c’est difficile à dire. J’écris plutôt vite et je suis souvent pressé de coucher sur le papier toutes les idées que j’ai en tête mais je ne saurai quantifier le temps qu’il faut. A la louche, je dirai au moins deux à trois semaines de travail mais cela s’étale sur plus de temps que cela.
Comment fais-tu pour garder un équilibre entre immersion, accessibilité et difficulté du jeu ?
Généralement, quand je conçois un jeu dans le scénario dans l’enquête, on change souvent mes idées car les règles sont tordues ou trop compliquées à réaliser ! Du coup, pour que l’équilibre soit assuré, il me faut l’avis et l’aide de Kiinoa et de la team de la Cité des Jeux.
Pour la dernière session, on a même testé le jeu la veille au soir et on a fait un changement important pour le final au dernier moment. Je pense que mon taf est aussi de veiller à ce que l’histoire reste cohérente et que les jeux qui l’incarnent ne la trahissent pas. Pour l’immersion, je ne me fixe aucune limite car pour moi, plus les gens s’identifient à l’histoire, plus notre travail est réussi.
Quelles émotions veux-tu déclencher chez les joueurs ? Et avec quels outils tu t’y prends : décors, comédiens, numérique ?
Mon style, c’est la surprise : j’adore « bousculer » les gens en faisant des coups de théâtre, des twists ou des chutes à la fin de l’aventure. Evidemment, cela peut paraitre artificiel mais j’essaie de garder une cohérence et que ce ne soit pas un rebondissement gratuit. Je veux aussi que les gens se sentent impliqués et partie prenante dans le jeu.
C’est une forme de jeu de rôle déguisé et on amène parfois les joueurs à faire des choix importants et décisifs, à être vraiment acteurs de l’histoire. Pour la troisième session, le final invitait le public à faire un choix moral et beaucoup d’équipes ont eu des discussions enflammées entre eux pour se décider. Les moyens pour y parvenir : je dirai tout ce qui est possible de faire. J’essaie de ne pas me limiter dans mon imaginaire et on essaie ensuite de rendre mes idées possibles. L’avantage, c’est qu’avec la Cité des Jeux, Kiinoa et même Qui Que le Veuille, j’ai affaire à des gens aussi fous et ambitieux que moi !
On a aussi la chance d’avoir plusieurs lieux différents, du matériel et des costumes. Gaël a aussi énormément de réseaux pour intégrer et faire participer des partenaires et c’est en plus un bricoleur en or. On n’a pas les moyens du cinéma mais je pense qu’à notre échelle, on s’en tire plutôt bien. Regardez par exemple les photos du commissariat que l’on a reconstitué pour le début du scénario : c’est magnifique !
Selon toi, qu’est-ce qui rend « En quête de jeux » si particulier dans le paysage des petits événements ludiques français ?
Je pense qu’on tient un concept qui mélange jeu d’enquête, jeu de pistes, escape, jeu de rôle… Un sacré mélange et même si ça peut paraître prétentieux, je suis fier de ce que l’on a créé et fier de la qualité du rendu. Un jeu en plein air, cela existe partout mais j’aime à penser que la qualité des idées et des jeux proposés dépasse sûrement ce qu’on peut voir d’habitude. A vous de nous dire…
Et en quoi est-ce différent des jeux type “Lupin” ou “Sherlock Holmes” ?
Il y a bien sûr des petits éléments qui se ressemblent notamment dans le système de comptage de points au final pour connaître son niveau lors de l’enquête. Cependant, il y a aussi beaucoup de différences : les joueurs incarnent vraiment des enquêteurs, rencontrent vraiment des personnages et sont immergés dans une époque et des lieux différents.
C’est une expérience très riche qui nécessite de la logique, de la déduction, de la communication de la coopération et surtout une forte envie de s’amuser !
Et la suite ? Si tu pouvais un peu rêver, qu'ajouterais-tu à « En quête de jeux » dans les années à venir ?
Tout est implanté à Parthenay mais ce serait superbe que le projet s’étende et se développe dans d’autres endroits. Faire revivre les scénarios et nos créations, ce serait vraiment génial !
Sinon, pour un avenir plus proche, on signe à nouveau pour une saison 4. Tout le script global est dans ma tête. J’ai beaucoup joué avec le public sur le côté insaisissable de Marius Jacob. J’ai peur du coup qu’on s’attende encore à des surprises du même genre. Comme j’aime bien être là où on ne m’attend pas, cet aspect va changer.
Je voudrais aussi cette fois une enquête très différente des précédentes avec un thème autre : celui du criminel…
Enfin, à titre plus personel, quels sont tes projets ludiques pour la suite ? Une idée un peu folle que tu rêves de développer ?
Je ne me ferme aucune porte et j’adore travailler et collaborer pour la Cité des Jeux donc je suis ouvert à tout. Cette expérience d’En quête de Jeux m’a permis de découvrir d’autres choses et de m’obliger à travailler différemment.
Chaque année, j’écris et créé également une murder pour une association : Rallye Schéma qui fait un gros évènement ludique par an sous forme de jeux de pistes sur toute une journée en terminant par ma murder. J’ai également vendu un de mes scénarios de murder (sur Cléopâtre) à Murder France que vous pourrez trouver sur internet.
A dire vrai, je rêve d’en faire, si ce n’est mon métier, une activité régulière. Créer des scénarios pour des jeux, c’est vraiment un bonheur total et si je pouvais en vivre ne serait ce qu’un peu, cela me libérerait plus de temps pour mieux créer. Je sens que j’ai encore beaucoup de choses à inventer et que les idées fusent de partout. Ce ne sera peut-être pas possible mais c’est important de rêver dans la vie !